Alice Waters  » Chez Panisse « … 40 ans au service des bons produits

08 août 2012
Catégorie : Chefs, Presse & Médias

Madame Figaro consacre 5 portraits à 5 femmes d’exception, dont celle que nous proposons de suivre ci-dessous… Alice Waters, chef du restaurant  » Chez Panisse « . Depuis 40 ans, à Berkeley aux États-Unis, elle est la prêtresse de la bonne bouffe, mi bobo/mi babacool, locavore avant l’heure, elle prêche pour changer les habitudes et que les Américains changent leurs mauvaises habitudes alimentaires… Le message fait son chemin !

À retrouver en cliquant sur le link ci-dessous ou sur le blog Pourcel ci-dessous.

Alice à Berkeley, 
la révolution délicieuse

La chef Alice Waters milite pour changer les habitudes alimentaires aux États-Unis.

Troisième héroïne de notre série sur des femmes d’exception, la Californienne Alice Waters, chef du restaurant Chez Panisse, se bat depuis quarante ans contre la malbouffe. Soutenue par la Maison-Blanche, cette locavore de la première heure exhorte les jeunes à cultiver de nouvelles habitudes alimentaires.

Berkeley, berceau du Free speech movement et d’un militantisme étudiant pour la liberté d’expression dans les années 60, revêt des habits de fête, ce 14 juillet : sur la façade du célèbre restaurant Chez Panisse, un imposant emblème peace and love, composé de gousses d’ail tressées ensemble, et piqué d’un nœud aux couleurs du drapeau français, chante, à sa manière, un air révolutionnaire. En cuisine, Alice Waters, maîtresse des lieux, vêtue d’une tunique de lin bleu roi, inspecte d’un œil aguerri une rangée de bottes de radis. Ici, pas un repas n’est servi sans le précieux ingrédient, la chef vouant une passion à cette racine potagère au goût légèrement poivré. Chez Panisse, restaurant nommé en hommage à Marcel Pagnol et à son sens de l’amitié (Honoré Panisse est ce commerçant qui accepte d’épouser Fanny, fille-mère abandonnée, dans la trilogie des années 30), est une institution aux États-Unis. Et sa patronne, une légende.

 

Alice Waters a popularisé la mode locavore.

C’est dans cette maison en bois, noyée sous la végétation, à l’atmosphère à la fois luxueuse et intimiste, qu’Alice Waters impose depuis quarante et un ans sa dictature du tout-bio. Sa voix douce masque une volonté de fer, ses traits évoquent ceux de Hillary Clinton. Sans formation culinaire ni sens affûté des affaires (Chez Panisse, bien que l’une des meilleures tables du pays, a frôlé plusieurs fois la faillite), Alice Waters a révolutionné la cuisine américaine armée d’une philosophie très simple : les plats servis dans ses assiettes sont composés de produits de saison uniquement, fraîchement livrés par les fermiers des environs.

La chef parle d’une « révolution délicieuse ». Si Michelle Obama a imposé dès son arrivée un potager cent pour cent bio au milieu des pelouses de la Maison-Blanche, c’est sous l’emprise d’Alice Waters. Deux décennies plus tôt, la papesse du slow food aux États-Unis avait bataillé en vain pour convaincre Bill Clinton de convertir les Américains aux joies du potager. Ce dernier, adepte de junk food (avant que des ennuis de santé ne le mènent à manger végétarien), s’était contenté de faire pousser quelques fines herbes sur le toit de l’édifice, patrouillé par des tireurs d’élite. Et si Tom Vilsack, le secrétaire d’État à l’Agriculture, a récemment annoncé le soutien du gouvernement fédéral à l’agriculture de proximité, c’est en partie grâce aux efforts d’Alice Waters, qui a popularisé la mode locavore. Les marchés fermiers quadrillent le pays aujourd’hui (les États-Unis en recensaient plus de sept mille en 2011) alors qu’au début des années 70, même à Berkeley, pourtant patrie des hippies, les jardins potagers se comptaient sur les doigts de la main. « Pour nombre de mes amis, a coutume de dire Alice Waters, planter des fruits et des légumes a d’abord été un acte politique, et le végétarisme un signe de défiance face à l’establishment. Pour moi, cuisiner bio était d’abord une quête hédoniste, inspirée par ma découverte de la gastronomie française ».

“J’ai voulu faire de mon restaurant un microcosme”.

À 19 ans, lors d’un séjour universitaire, Alice tombe amoureuse de l’Hexagone, de ses marchés, de ses produits de saison et de ses repas interminables. Lorsqu’elle ouvre son restaurant un beau soir d’août 1971, à l’âge de 27 ans, c’est donc pour satisfaire sa « quête de la salade parfaite ». Certes, dans les années 60, elle a milité activement contre la guerre du Vietnam au point de devenir la porte-parole de Robert Scheer, journaliste pacifiste qui briguait un siège au Congrès. Mais après la défaite de ce dernier, cette épicurienne francophile décide de se consacrer corps et âme à son projet.

« J’ai voulu faire de mon restaurant un microcosme de la société dans laquelle je souhaitais vivre, nous précise-t-elle. Chez Panisse, nous avons bâti une communauté et une économie alternative en créant une relation de dépendance entre les fermiers, les éleveurs et le restaurant. » Au tout début, l’anarchie régnait en cuisine et la tâche s’avérait titanesque, rares étant les agriculteurs à cultiver des produits répondant aux exigences du palais d’Alice (la chef et ses amis rapportaient clandestinement de France des graines de chicorée frisée et de roquette). Aujourd’hui, Chez Panisse contribue à faire vivre quatre-vingt-cinq fermiers locaux, et les tomates heirloom produites à partir de semences traditionnelles ne sont plus réservées à un public d’initiés. « Grâce à son obstination et à son pouvoir de séduction, Alice a convaincu une armada de fermiers de cultiver les légumes et fruits qu’elle désirait, selon les normes qu’elle imposait », précise David Prior, le directeur de communication. L’homme utilise des termes à la fois élogieux et sévères pour décrire sa patronne : « Amie à la loyauté légendaire, perfectionniste à l’extrême, Alice est aussi la personne la plus difficile que je connaisse », avoue-t-il. Rien n’illustre mieux sa quête de la perfection que sa passion pour les mûres, qui doivent être cueillies le matin même et consommées dans les heures qui suivent.

 

Les chefs n’ont pas le droit à l’erreur.

La glace aux mûres sauvages de Chez Panisse est devenue une légende en Californie. Cette quête obsessionnelle de la perfection soutient aussi la décision d’Alice Waters d’opter pour un menu unique (qui change tous les soirs) au lieu d’un menu à la carte. Les chefs n’ont ainsi pas le droit à l’erreur. Mais la perfection a son prix : le menu est à 85 dollars en semaine (65 dollars le lundi) et à 100 dollars le week-end. À l’étage, un Café Panisse sert un menu à la carte à des prix nettement plus abordables (16 dollars la pizzetta, 8 dollars la salade verte). La naissance en 1983 d’une fille prénommée Fanny (enfant qui n’a jamais pu goûter aux fruits de la Passion, produits interdits car importés) force Alice Waters à élargir son champ de bataille.

Pour sortir Chez Panisse de son insularité, elle revient à ses premières amours : l’éducation. Alice Waters, qui avait commencé sa carrière comme institutrice dans une école Montessori, s’est donné pour mission de changer les habitudes alimentaires de la génération du fast-food. Habilement, à la fin des années 80, elle lève des fonds auprès de ses richissimes amis, avec un objectif : créer des jardins potagers dans les écoles publiques du pays. Le premier Edible Schoolyard naît, en 1996, à la Martin Luther King Junior Middle School, collège de la ville de Berkeley qui accueille des élèves issus de milieux défavorisés. Seize ans plus tard, plus de cent variétés de légumes de saison, fleurs et arbres fruitiers attirent les visiteurs, conférenciers et soutiens écologistes du monde entier. « Planter des potagers et apprendre aux enfants à cuisiner des mets sains et à partager leur repas stimule l’économie locale », martèle-t-elle. Le concept fait des émules, et aujourd’hui, des milliers d’écoles ont leur propre jardin de plantes comestibles. Horrifiée quelques années plus tard par la mauvaise qualité des aliments servis à la cantine de l’université Yale, que fréquente sa fille Fanny, Alice convainc le président de cet établissement prestigieux de la côte Est de la nécessité de convertir une parcelle du campus en potager.

Alice a trouvé une alliée, Michelle Obama.

Puis elle suggère au maire de Sacramento, capitale de la Californie, de confier la gestion de la cafétéria d’un lycée public de la ville aux lycéens, afin qu’ils y apprennent l’art de la cuisine bio mais aussi les règles élémentaires du business. Sa victoire la plus improbable ? Cette pacifiste pure et dure a reçu il y a peu des dirigeants de l’armée américaine. Leur requête ? « Les soldats éclatent dans leur uniforme et leur surpoids risque de coûter à l’armée sa compétitivité. » Alice a expliqué son concept de jardin potager. Démocrate convaincue, elle a trouvé une alliée en la personne de Michelle Obama, championne de la lutte contre l’obésité. « Kennedy a rendu obligatoire l’éducation physique quotidienne à l’école. Barack Obama devrait imposer l’éducation culinaire », assène-t-elle.

À l’école de Chez Panisse.

Ils ont fait leurs preuves chez Alice Waters avant de voler de leurs propres ailes. C’est le cas de Charlie Hallowell, qui a ouvert Pizzaiolo, à Oakland, de Gayle Pirie, à la tête de Foreign Cinema, à San Francisco, ou encore d’April Bloomfield, dont les restaurants The Spotted Pig et Breslin ont séduit New York. Steven Sullivan a appris à faire du pain Chez Panisse avant de bâtir son empire, la boulangerie Acme Bread. Quant à Jérôme Waag, il a cofondé OPENrestaurant, un concept d’événements artistiques, culinaires et philosophiques itinérant. Sa devise : « We are what we cook » (Nous sommes ce que nous cuisinons)…

Chez Panisse, 1517 Shattuck Avenue, Berkeley, CA 94709, États-Unis.

Repères

28 avril 1944 : naissance à Chatham, New Jersey. 
1965 : premier séjour en France, découverte de la gastronomie. 
1971 : ouverture de son restaurant à Berkeley.
 1996 : création de The Edible Schoolyard, à l’école Martin Luther King Junior de Berkeley. 
2002 : devient vice-présidente de Slow Food International. 
2011 : le restaurant Chez Panisse fête ses 40 ans.

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