Les aveux hallucinants de l’ex Président des Relais & Châteaux : 200 000 euros annuels détournés pendant 8 ans

12 déc 2011
Catégorie : Presse & Médias

Source : Le JJD ( Journal Du Dimanche ) du 11 décembre 2011

Les aveux de l’ex-président de Relais & Châteaux

Mis en examen et écroué, Régis Bulot a fini par avouer avoir perçu des rétrocommissions liées à des surfacturations pour environ 200.000 euros annuels. Il a longuement été interrogé sur ses relations avec Dominique de Villepin.

Régis Bulot a craqué après sa première nuit de garde à vue. Cet ancien président des Relais & Châteaux, intime de Dominique de Villepin et de tout le Bottin mondain de la gastronomie française, était dans le collimateur d’un juge d’instruction de Strasbourg depuis janvier 2009. Comme en témoignent les nombreuses écoutes du dossier, que le JDD a pu consulter, Régis Bulot se croyait tiré d’affaires. « T’es pas encore en prison ? », lui demande en riant son ami Alain Ducasse le 30 janvier 2010. « Non, tu rigoles, toi, arrête », réplique Bulot, sur écoute. « Tu pourrais y aller avec Villepin d’ailleurs », poursuit Ducasse, rigolard. « C’est impensable ça, tu sais », réagit Régis Bulot.

Près de deux ans après, « l’impensable » est arrivé. Cueilli le 17 novembre par les gendarmes de la section de recherches de Strasbourg, l’ancien président des Relais & Châteaux a d’abord nié durant sa première audition, jusque dans la soirée. « Je ne comprends pas », a-t-il martelé aux gendarmes qui l’interrogeaient sur les surfacturations et les remises d’espèces dont il est soupçonné d’avoir bénéficié, entre 2002 et 2008, pour un montant annuel de l’ordre de 200.000 euros annuels. Puis le lendemain matin, « après réflexion », comme commence son nouvel interrogatoire, Régis Bulot, en présence de son avocat, Me Michaël Santelli, a reconnu « être à l’origine de la surfacturation et des rétrocommissions ». Le juge Jean-Baptiste Poli l’a mis en examen pour « abus de confiance, escroquerie en bande organisée et blanchiment », et l’a envoyé en prison.

« J’avais accepté de rendre service »

L’affaire des Relais & Châteaux démarre par un grain de sable. Il s’appelle André H. Cet alsacien de 63 ans a été rattrapé par le fisc en 2008. « J’avais tout simplement accepté de rendre service, confie-t-il au JDD. En fait, deux fois par an, un papetier allemand m’apportait une enveloppe à Strasbourg contenant des espèces. Je prenais le TGV pour Paris et j’avais rendez-vous au Train Bleu, le restaurant de la gare de Lyon, avec Gérard C., le bras droit de Régis Bulot. Je lui remettais l’argent. » Pour sa « prestation » de simple porteur de valise, André H., « un lampiste » selon son avocat, Me Renaud Bettcher, prélevait 10.000 euros par an.

Quand le fisc allemand a contrôlé le papetier, il a tiqué sur les sorties d’espèces, pour 880.000 euros au total, entre 2002 et 2008. Dans sa comptabilité, les fonds étaient remis à André H. « Résultat, raconte ce dernier, le fisc français considère que j’ai perçu tout cet argent et me réclame aujourd’hui près de 900.000 euros de redressement », confie-t-il au JDD. Dès son premier rendez-vous avec les agents du trésor, André H. leur a indiqué que les fonds n’étaient pas pour lui… Mais pour la présidence de Relais & Châteaux.

« Au lieu de payer la tonne de papier 777 euros, Relais & Châteaux la payait 960 euros, charge à l’entreprise allemande de sortir la différence en cash. Cela dégageait du ‘schwartz’, comme on dit ici en Alsace », admet le Strasbourgeois. Saisis du dossier, les gendarmes ont mis à plat tout le système. Au-delà des commandes de papier, ils ont mis à jour des surfacturations identiques avec d’autres fournisseurs, notamment pour l’impression et le brochage du guide des Relais & Châteaux, et d’autres systèmes de remises d’espèces, via un compte suisse. Le tout atterrissant dans le bureau de Régis Bulot, par le biais de son homme de confiance, Gérard C., lui aussi incarcéré à ce jour.

« Je n’ai jamais compté, ça me rendait mal à l’aise »

« Je suis le concepteur de ce système », a fini par reconnaître Bulot. « Je n’ai pas institué ce système suite à un besoin pressant d’argent. Ça s’est fait comme ça », a-t-il ajouté en garde à vue. S’il a nié « avoir compté le contenu des enveloppes », minimisant son estimation des montants à 5 % des surfacturations, alors que l’enquête établit que le prix du papier était gonflé de 20 à 30 %, Bulot assure avoir utilisé les fonds « pour des achats personnels, tableaux, voyages, voitures, restaurants… Je n’ai jamais compté, ça va vous surprendre, ça me rendait mal à l’aise », a-t-il ajouté devant le juge.

« Pourquoi ce système de surfacturation a-t-il continué après votre départ de votre fonction de président de Relais & Châteaux ? » ont questionné les gendarmes. « Je n’ai pas souvenir de ça, a répliqué l’intéressé qui a quitté ses fonctions en janvier 2006. Je n’ai remis d’argent à personne », martèle-t-il. Devant le juge, Bulot a avoué qu’il plaçait les billets « sous des dalles amovibles » de la terrasse de son logement de fonction, puis dans son nouvel appartement, « dans les jardinières avec un zip pour que ma femme ne le voie pas ». Mais il a nié « tout financement politique ».

En revanche, Régis Bulot a confirmé au magistrat l’existence « d’un système de gratuité » qui pourrait conduire à des « personnalités ». « On donnait gratuitement à tous ceux qui nous servaient à la promotion », a-t-il déclaré, se souvenant « d’un ancien ministre qui avait bénéficié d’un week-end sur la Côte d’Azur avec une Ferrari prêtée. »

« Au cas où je passerai sous un bus »

Dans le dossier, en perquisitionnant au domicile d’un des anciens cadres des Relais, les enquêteurs ont découvert un testament dactylographié, portant la mention « Au cas où je passerai sous un bus ». Dans ces archives, les gendarmes ont saisi des notes mentionnant le nom de plusieurs hommes politiques, de droite comme de gauche, et de chefs d’entreprise. Les enquêteurs ont mis à jour l’existence de « vouchers » correspondant à des nuits gratuites dans chacun des 500 Relais & Châteaux. En 2008-2009, « 6.134 vouchers des établissements hôteliers » ont été récupérés, écrivent les gendarmes dans leur synthèse.

À qui ont profité ces largesses ? « Si un jour on s’intéresse à savoir quel est l’homme politique qui a couché avec qui dans quelle chambre et à quel endroit vous êtes morts ! »… « Cela fera le plus gros feu d’artifice depuis l’affaire Clearstream », avait pronostiqué Dominique de Villepin à l’actuel président des Relais & Châteaux, comme en témoigne une écoute téléphonique. Le juge Poli n’a, semble-t-il, plus qu’à allumer la mèche.

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