« 50 Best » : les cuisines de l’anti-Michelin par JP Géné pour le journal  » Le Monde « 

05 mai 2012
Catégorie : Chefs, Events & Party, Presse & Médias

Un peu long ( normal c’est dans Le Monde ), un beau papier du totalement indépendant Jean-Paul Géné, un des rares journaliste français qui connaisse parfaitement la restauration française et mondiale… allez il balance un peu, juste ce qu’il faut …   » un certain fascisme culturel, une nomenklatura de journalistes, un outil marketing  » il n’en faut pas plus pour comprendre le fonctionnement du système. Bonne lecture, vous avez le link ci-dessous !

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« 50 Best » : les cuisines de l’anti-Michelin

Par J.-P. Géné (Londres, envoyé spécial)

http://www.lemonde.fr/vous/article/2012/05/03/les-cuisines-de-l-anti-michelin_1695300_3238.html

Lundi 30 avril, pour la troisième année consécutive, Noma, au Danemark, a été consacré « meilleur restaurant du monde » selon le palmarès du mensuel anglais Restaurant Magazine. C’est le dixième anniversaire de ce classement qui a propulsé l’Espagnol Ferran Adria (El Bulli, aujourd’hui fermé), l’Anglais Heston Blumenthal (The Fat Duck) et le Danois René Redzepi (Noma) au rang de stars de la gastronomie mondiale et rempli leurs carnets de réservation pour les années à venir.

Cinquante adresses sont classées, d’où le titre du palmarès : « 50 Best ». Aucun restaurant français ne figure dans les dix premiers. Le Chateaubriand, neuvième en 2011, chute de dix places, et l’Atelier Saint-Germain, de Joël Robuchon (bientôt fermé), devient le meilleur restaurant français (douzième) selon le vote des 837 jurés.

On pourrait ignorer ce classement, né en Grande-Bretagne, s’il n’était en passe de devenir la référence pour la gastronomie mondiale. Joe Warwick était présent aux débuts de Restaurant Magazine, en 2001, avant d’en devenir rédacteur en chef, en 2005, puis de le quitter, en 2008, pour « divergence éditoriale ». Il explique : « C’est une revue professionnelle destinée aux métiers de l’hôtellerie et de la restauration. Nous cherchions une idée originale, susceptible d’être reprise par la presse. L’un de nous a dit : « Si on dressait la liste des meilleurs restaurants d’Angleterre ? », puis un autre a ajouté : « Et pourquoi pas du monde ? » C’est ainsi que tout a commencé. »

Le principe était simple : un vote fait par des professionnels (chefs, restaurateurs, critiques gastronomiques) pour des professionnels. Le premier palmarès, en 2002, a consacré Thomas Keller, le chef américain de The French Laundry. La presse anglo-saxonne a immédiatement accroché et soutenu ce prix, remarquant avec délice que le meilleur cuisinier du monde était américain et non français.

En dix ans, aucun chef français ne sera sacré numéro un. Chaque palmarès sera le reflet de ce prétendu déclin de la cuisine française, dépassée par l’avant-garde espagnole et nordique et laissant libre cours à la créativité débridée de jeunes chefs modernes. Avec en filigrane le désir jamais formulé d’éradiquer le Michelin, symbole de l’arrogance française.

837 ÉLECTEURS

Au début, les critères du classement étaient obscurs. Puis l’organisation du prix s’est structurée. Restaurant Magazine vit depuis une double vie. Celle d’un modeste mensuel professionnel (autour de 15 000 exemplaires) sans envergure internationale et, durant une semaine, puissance invitant à la remise des Oscars de la gastronomie mondiale avec le concours de sponsors.

Pour répondre aux critiques, le vote et le jury obéissent désormais à une charte. Le monde est divisé en 27 académies géographiques regroupant chacune 31 électeurs sous la présidence d’une personnalité aux compétences reconnues. Il revient à cette dernière de choisir les membres de son académie (« critiques culinaires, chefs, restaurateurs et gastronomes jouissant d’une grande considération ») et de veiller au bon déroulement du scrutin électronique.

Les 837 électeurs disposent de sept bulletins de vote et ne peuvent en accorder que quatre à des établissements de leur pays d’origine. Leurs sept choix doivent être présentés par ordre de préférence et ils doivent avoir visité les restaurants élus durant les dix-huit mois précédents. Ils ne sont tenus à aucun justificatif et les frais éventuels ne sont pas remboursés. Aucune vérification n’est effectuée par les organisateurs qui n’en ont pas les moyens.

« UNE NOMENKLATURA DE LA BOUFFE »

« Nous nous efforçons de faire un vote honnête et transparent, explique William Drew, aux commandes de Restaurant Magazine depuis deux ans. Nous ne disons pas que nous sommes exhaustifs et que nous visitons tous les restaurants du monde. Nous sommes subjectifs. Nous ne sommes pas en compétition avec les guides Michelin, Zagat ou autres, nous donnons simplement une photographie annuelle des goûts du moment dans la gastronomie mondiale. »

Plaidoyer séduisant. Le problème est justement ce « goût du moment » et comment il se détermine. Pourquoi trouve-t-on quasiment toujours les mêmes dans les dix premiers ? Pourquoi l’avant-garde est-elle privilégiée ? Pourquoi le Japon n’a-t-il que deux restaurants dans les « 50 Best » (dont un de cuisine française) ? La réponse se trouve en partie au sein même du corps électoral, et l’exemple du collège français est à ce titre instructif.

François Simon, le redouté critique du Figaro, avait accepté d’en prendre la présidence avec l’espoir d’améliorer les choses, notamment à propos du Japon, qui lui est cher. Il a claqué la porte au bout de deux ans, constatant que « la récompense était plus une question de notoriété que de qualité », que les chefs avaient peu de temps pour visiter les restaurants et que l’ensemble manquait sérieusement de légitimité. Outre le poids des lobbys nationaux, s’est constituée, selon lui, « une nomenklatura de la bouffe qui essaie de modifier les opinions juste pour une coterie de copains avec lesquels ils vont boire des coups avec des billets d’avion offerts ».

Le jugement est sévère, mais Joe Warwick ne dit pas autre chose lorsqu’il déplore « un certain fascisme culturel » dans cette prépondérance de l’avant-garde dans les « 50 Best ». Cette nomenklatura de journalistes, chefs et autres agents qui gravitent autour des cuisines se retrouve tout au long de l’année à travers le monde lors des manifestations gastronomiques où l’on croise souvent les piliers du top ten des « 50 Best » : Gastronomika à San Sebastian, Madrid Fusion, Paris des Chefs, Crave Festival à Sydney, Mistura à Lima, Cook it Raw à Copenhague…

Dans ces rendez-vous se concocte une nouvelle idée de la cuisine. Une cuisine de démonstration et de performance, convoquant les arts graphiques et la musique au secours du goût. Additifs alimentaires et basses températures, sous-vide et azote liquide, siphons, thermomètres et pinces à épiler sont les instruments de ces mousses, sphères et gelées qui ont envahi les assiettes « modernes ». Une cuisine dite d’auteur, coercitive, dont la première conséquence est le menu unique imposé à table qui peut parfois comporter des crevettes à manger vivantes comme chez Noma. C’est au fil de ces rencontres que se forme ce goût du moment dont « 50 Best » se veut le marqueur.

Andrea Petrini, le successeur de François Simon à la présidence du collège français, fait partie de cette coterie. Un pied dans la presse, un autre dans l’organisation ou la présentation d’événements, un peu de promo à l’occasion, il présente une autre caractéristique : il déteste le Michelin, « guide de la gastronomie d’un autre temps », qu’il vient à nouveau de dénoncer dans le numéro un de la revue Alimentation générale.

Dans le New York Times, en avril 2011, la journaliste Lisa Abend a raconté la réunion des jurés français qu’Andrea Petrini avait organisée au Chateaubriand, le restaurant parisien d’Inaki Aizpitarte, meilleur restaurant français en 2011 – coïncidence ? On avait beaucoup ri… Mais sa présidence n’a pas corrigé le peu de crédit que la restauration française accorde à « 50 Best ».

LE MEILLEUR DANS QUOI ?

William Drew, de son côté, regrette ce rejet du classement par les chefs français, dont la grande majorité trouve ridicule la notion même de « meilleur restaurant du monde ». Ils ne sont pas les seuls. Lorsqu’il a essayé de constituer un jury japonais, Joe Warwick se souvient d’une réponse récurrente : le meilleur dans quoi ? Les sushis, les anguilles, le tempura ? « Pour eux, la notion de meilleur « en général » n’existe pas. » C’est pourtant elle qui fait la fortune de « 50 Best ».

San Pellegrino l’a bien compris, partenaire depuis le début de l’opération, à tel point que le nom officiel du palmarès, « The San Pellegrino World’s 50 Best Restaurants », est vite devenu « le classement San Pellegrino ». Une place de choix pour le marchand d’eau minérale de Nestlé associé au sommet de la pyramide gastronomique en échange du sponsoring de la remise des prix, en grande pompe, au prestigieux Guidhall, à Londres. « C’est le seul classement au monde qui puisse donner une photographie des tendances dans la gastronomie « , m’explique Clément Vachon, porte-parole de San Pellegrino.

Cette année, le titre de l’événement est devenu « The World’s 50 Best Restaurants, sponsored by S. Pellegrino & Acqua Panna ». Cela s’explique, selon William Drew, par la volonté de « ne pas diluer la propriété du titre », et, selon Clément Vachon, par le souci de « ne pas laisser penser que la marque participait au classement » et de « rester à l’abri des polémiques que celui-ci peut susciter ». La vérité, c’est que « 50 Best » est devenu avant tout un fabuleux outil marketing que beaucoup ont intérêt à préserver.

J.-P. Géné (Londres, envoyé spécial)

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2 commentaires pour “« 50 Best » : les cuisines de l’anti-Michelin par JP Géné pour le journal  » Le Monde « ”

  1. […] en savoir plus sur ce classement, voici un article sur le blog des frères Pourcel    Tags: avant gardiste, azote, azote liquide, chicago, cuisine, cuisine […]

  2. Christian

    03. sept, 2014

    Transparence vaut mieux que labels
    Bonjour
    Après avoir lu votre excellent article sur le Fait-Maison je me suis dit que vous devriez
    jeter un coup d’œil sur : cuisine-visible.fr

    http://www.cuisine-visible.fr/
    Cuisine ouverte vaut mieux que tous les labels du monde

    Belle journée
    Christian

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