Christophe Saintagne :  » une brigade, c’est comme un orchestre, il faut que tous jouent sur le même diapason. « 

13 juil 2015
Catégorie : Actualité Chefs & Restaurant, Chefs, Presse & Médias

F&S C’est sur le Huffingtonpost qu’une des internautes qui suit F&S a repéré ce portrait du chef Christophe Saintagne, chef de la table gastronomique de l’Hôtel Meurice à Paris. Suivez cette rencontre réalisée par Sophie Menut avec un chef qui a la tête dans la musique et le coeur en cuisine.

CHRISTOPHE SAINTAGNE

Rencontre avec Christophe Saintagne : la cuisine comme un uppercut

CUISINE – C’est intimidant de pénétrer dans un Palace. Le lieu est imposant. Accueil empressé, marbres, moquettes épaisses, longs corridors et vastes pièces que l’on traverse en ayant l’impression que tout le monde nous regarde. Conversations feutrées, mélange de people et de jolies femmes, langues étrangères sont le cocktail obligatoire à déguster ou pas selon les goûts et l’ego.

J’ai rendez-vous aujourd’hui avec Christophe Saintagne, le chef de l’hôtel Meurice, à Paris, sans doute un des palaces les plus représentatifs du luxe et de l’ excellence à la française.

On me conduit dans la salle à manger privée de l’hôtel. C’est un grand privilège de pouvoir s’asseoir autour de la longue table dorée. Beaucoup aimeraient être à ma place.

Dans cette pièce hors norme, je m’imagine dans le décor d’un sous-marin futuriste d’un film à gros budget.
Je suis seule et j’attends le chef. En face de moi, une vitre me donne accès au ballet des cuisiniers. Ils ne me voient pas et je les observe : ils sont sérieux, concentrés et tellement jeunes.

Pas un geste de trop, la mécanique est bien huilée et on est loin de l’agitation que l’on peut imaginer en plein service. La porte s’ouvre et Cristophe Saintagne est là. Notre déjeuner peut commencer.

Pendant ce moment en tête-à-tête, je découvre un homme sûr de lui et qui se remet toujours en question, un homme qui ressemble à un adolescent mais qui a la poigne nécessaire pour mener une brigade de plus de 60 personnes à bon port, un homme qui s’interroge sans cesse sur son métier et qui aime la rectitude. Un homme qui possède une autorité naturelle doublée d’une grande sensibilité.

Christophe Saintagne a plusieurs visages et la complexité des hommes brillants.

A Pont-Audemer dans la petite ville de son enfance, près de Honfleur en Normandie, il s’est mis à cuisiner vers l’âge de 11 ans en piochant des idées dans l’encyclopédie culinaire de sa maman. Dans la famille Saintagne, la cuisine et les bons produits ont une large place et il se souvient amusé d’une bouteille de Coca, crânement posée sur la table du dîner familial par son frère, qui a fini 3 étages plus bas, dans la rue, jetée par son père.

Il comprend vite le pouvoir formidable de la cuisine. Il se rend compte qu’elle peut mettre tout le monde d’accord et créer des vrais moments de complicité.

Le premier stage dans le restaurant du coin confirme cette évidence: il se sent bien tout de suite.
Bac hôtelier, brevet pro de cuisine, stage dans un restaurent étoilé, puis service militaire à l’Elysée. Il y rencontre un cuisinier qui le présente à Jean-François Piège, alors chef du 59 avenue Poincaré, le restaurant que vient de reprendre Alain Ducasse. Il commence comme commis. Il a 22 ans et c’est difficile. Pendant six mois, il se demande chaque matin si ce métier est finalement pour lui.

Tout lui semble aberrant, parce que tout est nouveau. Puis il finit par maîtriser cette difficulté. 6 mois plus tard, il est chef de partie et s’en va au Plaza-Athénée, le palace dont le restaurant est sous la houlette d’Alain Ducasse. Il y reste un peu plus de deux ans et le chef lui propose la direction du bistrot « Au Lyonnais » qu’il vient de créer. Il a 24 ans.

C’est une nouvelle expérience plus globale : on ne lui demande plus seulement de faire la cuisine, mais de gérer la bonne marche d’un restaurant. Deux ans après, Jean-François Piège arrive au Crillon et le veut dans ses équipes. Ducasse le laisse partir en lui prédisant qu’il reviendra.

Cinq ans se passent. Il a 30 ans et devient papa, c’est une étape importante dans sa vie personnelle qui a des répercussions dans sa vie professionnelle. Il sent que c’est le moment de changer. Cela tombe bien, Ducasse lui propose de devenir chef exécutif de son groupe et d’être à mi-chemin entre lui et ses cuisiniers. Il reste à ce poste pendant 2 ans.

Il adore l’expérience qui lui donne de la hauteur et lui permet de relativiser son métier de cuisinier. Il voyage, découvre le monde et prend le temps de réfléchir.

Ducasse lui adjoint les services d’un coach pour appuyer cette maturation et en 2010, lui offre de prendre la tête des cuisines du Plaza, avec comme cahier des charges, préparer une cuisine extrêmement lisible et simple. Il hésite, puis un matin il se dit « Alain Ducasse est en train te donner les clefs de sa cuisine et toi, tu prétends refuser ».

Après le Plaza, il est devenu le chef du Meurice depuis 2014, à la suite de Yannick Alléno et a su conserver les trois étoiles du restaurant.

Lorsqu’il était plus jeune, il possédait un livre de Robuchon et regardait la photo sépia du chef avec toute sa brigade, sans jamais pouvoir imaginer travailler un jour dans une cuisine comme celle-là.

Lorsque je lui demande sa vision et sa définition de la cuisine, ses réponses fusent sans hésitation. Pour lui, la vraie cuisine ce sont les populations qui la font. C’est ce que ce que l’on se transmet de famille en famille.

Les plats qui fonctionnent sont les plus simples et les plus directs. Le plus grand plat de Robuchon, celui qui restera, n’est-ce pas sa purée ?

Lui, veut être le maillon d’une chaîne, il veut mettre en avant les produits et les producteurs parce qu’il considère que tout le monde en parle beaucoup mais peu les respectent vraiment.

Le client qui vient dans son restaurant n’a plus envie de cinq amuse-bouches, il désire manger simplement et la vraie rencontre est à ce moment-là. Lorsqu’il déguste, qu’il rentre dans un univers. Il lui faut une vérité. C’est ce qu’il s’évertue à approcher tous les jours.

Il fait la relation avec le rock qui l’inspire et prend comme exemple Led Zeppelin : une guitare, une basse, une batterie, un chanteur, rien d’autre et pourtant une formidable énergie.

Son fantasme, c’est d’arriver à cela. Mettre des coups de poing avec peu de moyens et juste de l’énergie.
Ce qui le stimule, c’est l’échange et la complicité qu’il retrouve dans sa relation avec Alain Ducasse qu’il a toujours envie d’épater.

Il me parle aussi de respect dans sa cuisine et de son désir de faire régner une ambiance de camaraderie dans ses équipes. Il ne les met pas en compétition et il essaye d’être extrêmement prévisible. Pour qu’un employé se sente bien, il faut qu’il sache ce que son patron pense et que cela soit toujours la même chose.

Il essaye de leur apporter cette stabilité psychologique qui les fait cuisiner sereinement. Même si tous portent tabliers et toques qui les uniformisent, il souhaite que chacun puisse mettre un peu de lui dans sa cuisine tout en allant dans la même direction que les autres.

Pour lui une brigade, c’est comme un orchestre, il faut que tous jouent sur le même diapason.

Du rapport entre la cuisine et les médias. Il trouve intéressantes ces émissions qui mettent la gastronomie à l’honneur si elles peuvent aider à sensibiliser le public sur ce qu’il mange, mais il ne voudrait pas que le téléspectateur s’empresse de réchauffer un plat aux micro-ondes pour vite se mettre devant son écran.

Il m’avait préparé des légumes d’été, du bar accompagné de fenouil et de roquette et des fraises. Tout était évident. Mon entrée était le miroir d’un potager, rien n’était en trop, rien ne manquait. Le reste était limpide et tout se répondait. Les fraises du dessert étaient dans leur jus délicat, le parfum du basilic les mettait en valeur et la tuile de sésame noir leur apportait du croquant.

Je m’imagine le travail pour arriver à cette apparente simplicité. Il peut être rassuré si besoin, j’ai reçu le message, cela vibrait, cela avait du rythme, c’est rentré dans mon cœur comme une flèche et l’a fait palpiter un peu plus fort comme lorsque je monte le son d’une musique rock, comme un uppercut.

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