Michel Troisgros :  » L’attitude et le bon sens doivent dépasser ce que la recette dit « 

16 avr 2015
Catégorie : Actualité Chefs & Restaurant, Chefs

F&S Une de nos internautes fidèles à F&S, nous transmet ce reportage depuis la Belgique … vous y découvrirez le chef Michel Troigros qui parle d’avenir, de son passé, de sa famille …

Une bonne façon de comprendre sa philosophie.

Retrouvez l’article dans son intégralité en cliquant sur le LINK : Lesoir.be

Maison Troigros Lesoir.be

Michel Troisgros: «Le cuisinier s’engage dans un chantier ouvert dont il ne connaît pas l’issue»

Il est une légende dans le monde gastronomique, le chef triplement étoilé de la Maison Troisgros à Roanne s’exprime sur Lesoir.be … extraits !

En 1930, Jean-Baptiste et Marie Troisgros, cafetiers bourguignons, s’installent à Roanne. Autodidactes, ils initient leurs deux fils, Jean et Pierre, aux joies de la grande cuisine française, bourgeoise et campagnarde. Ceux-ci reprennent l’affaire qu’ils conduisent aux firmaments de la gastronomie mondiale, obtenant une troisième étoile en 1968. Michel, fils de Pierre, rejoint l’affaire à la mort brutale de son oncle en 1986.

Avec Marie-Pierre, sa femme, il développe une institution reconnue dans le monde entier … La Maison Troisgros déménagera en 2017 dans un domaine situé à Ouches, à quelques kilomètres de Roanne.

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Pourquoi ce déménagement ?

Il répond à divers besoins. Marie-Pierre et moi, mais aussi César, notre fils, aujourd’hui chef des cuisines, nous sentons à l’étroit dans des murs que la famille occupe depuis trois générations. Depuis l’arrivée de mon grand-père à Roanne en 1930, la cuisine, le restaurant et l’hôtel ont été sans cesse améliorés, transformés et réinventés. Nous n’avons jamais cessé de nous remettre en question et d’anticiper les attentes de notre clientèle. Le monde change, la notion de confort et de destination a évolué. Le mouvement s’inscrit également dans un souci d’évolution de notre cuisine. Nos racines sont ancrées dans ce territoire. Ce déplacement nous rapprochera davantage des producteurs de la région.

Êtes-vous étonné par les réactions ?

Elles étaient prévisibles vu l’histoire de la maison et la nostalgie ambiante. Mais ne rien changer n’est pas dans notre nature. Vous savez, lorsque j’ai retiré le saumon à l’oseille de notre carte, la plupart des habitués n’ont pas compris, mais je me suis épanoui à côté. Et lorsque mon père et mon oncle ont aménagé une immense cuisine ouverte sur le jardin, au milieu des années 70, l’investissement luxueux a fait beaucoup causer. Quarante ans après, cette cuisine reste un exemple d’esthétisme et de fonctionnalité.

S’inscrivait-elle dans l’esprit de la Nouvelle Cuisine, mouvement culinaire de rupture auquel votre père reste associé ?

Certainement, dans la volonté d’ouverture et de transparence. Cet espace entraînait un rapport nouveau entre le client et le chef, mais également au sein de la brigade. Le hasard des rencontres y a aussi été pour quelque chose. Mes parents avaient comme clients un couple de restaurateurs danois avec qui ils s’étaient liés d’amitié. Un jour, leur rendant visite à Copenhague, ils ont découvert chez eux une cuisine totalement ouverte sur le restaurant où les chefs occupaient le cœur de l’espace. Cette découverte a participé à leur réflexion sur le métier et à la décision de ne rien cacher.

Votre fils vous accompagne aujourd’hui en cuisine. Que suscite son arrivée, après avoir vécu pareille période avec votre père ?

Chaque histoire est différente, liée à un contexte, à une époque, à un lieu, à la personnalité des acteurs, à la cuisine, aux sentiments et, bien sûr, à celle qui vous accompagne, clé de la réussite. Certaines parallèles existent, notamment le passage par la formation dans de belles maisons, en France et à l’étranger. Mais César est plus mature que je ne l’étais à son âge. Il va se révéler et je serai là pour l’accompagner. Tout cela est frémissant. Puis il y a Léo, son jeune frère, cuisinier lui aussi, pour l’instant à Crissier en Suisse.

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Plus mature que vous ?

Mon parcours est intimement lié à celui de Marie-Pierre que j’ai rencontrée à l’âge de 17 ans à l’école hôtelière de Grenoble. On a alors partagé toutes nos aventures en même temps que notre formation. En 1983, après une expérience à New York, nous étions en attente, à Roanne, de visas pour l’Australie lorsque mon oncle Jean est décédé brutalement. Mon père m’a alors demandé de lui donner un coup de main. Pour moi, ce fut naturel mais imprévu. Cela ne devait durer que quelques semaines, voire quelques mois… C’est devenu une vie. J’ai eu la chance que Marie-Pierre accepte et me soutienne, sans relâche. Les choses se sont enchaînées: les premiers plats réussis, les premiers éloges, les critiques, les dîners à l’extérieur, les copains, la presse, les découvertes et les amitiés dans la profession… La confiance et les convictions se sont affirmées petit à petit.

Vous n’aviez pas la vocation ?

Pas vraiment. En tant que fils de cuisinier restaurateur, il y avait évidemment plein d’acquis. Il y avait une disposition naturelle vers le métier, mais je ne me souviens pas que mon père m’ait dit un jour: Tu seras cuisinier comme moi. Comme je n’ai jamais dit: Je serai cuisinier comme toi et je reprendrai la maison. J’ai choisi l’école hôtelière, car je savais que cette formation me permettrait d’aller voir ailleurs. Je voulais partir, voyager comme mon frère, et le métier m’a ensuite passionné. Il y a eu quelques rencontres importantes, comme Alain Chapel, mon premier stage à 16 ans, puis Freddy Girardet, en Suisse. Taillevent, à Paris. J’ai vécu une expérience particulière à Berkeley, chez Alice Waters. J’y ai découvert une cuisine libérée et métissée que je ne connaissais pas avant.

C’était nouveau ?

Chez mon père et mon oncle, la façon de faire la cuisine s’était affranchie des règles classiques, mais les règles de travail étaient strictes. Tous deux avaient une réelle confiance, une manière d’appréhender les produits et de les associer sans a priori. Ils faisaient une cuisine au goût vif et nerveux, tonique, différente des autres grands chefs. Leur idée, c’était: Je vais sur le marché, je vois ce que je trouve et je cuisine. Ils ont osé abandonner le fonctionnement des grandes cuisines où les cartes, souvent longues, changeaient peu. Ils ont commencé à créer des plats, comme l’huître chaude aux frisons de concombre, le foie gras poêlé aux groseilles, l’escalope de saumon à l’oseille, le bœuf au fleurie et à la moelle, les grillons de ris de veau…

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Comment ces plats ont-ils été créés ?

Certains plats sont l’aboutissement d’une réflexion longue, d’autres, le résultat d’une pensée immédiate et d’un geste où l’expérience et le hasard peuvent y mettre du leur. …/…

Comment avez-vous trouvé votre chemin ?

Je pense avoir hérité de ce savoir-faire, mais j’ai eu en plus la chance de voyager. Cela a influencé mon style naissant. À mon arrivée, c’était logiquement une cuisine héritée. Fréquenter de belles maisons en apprentissage est un avantage, mais cela crée une certaine confusion. Il faut le temps pour digérer ce qu’on y apprend. Il a également fallu que mon père me fasse confiance. Il a fallu, seul, oser et s’exprimer, trouver des sensations personnelles tout en respectant un patrimoine considérable. La tentation était grande d’y puiser, sans prendre de risques. En plus, les clients ne me poussaient pas au changement.

Qu’est-ce qui a permis le changement ?

Marie-Pierre. Extérieure à l’histoire familiale, elle avait davantage de recul. Elle m’a d’abord aidé à m’affranchir du passé et à tenir. Ce ne fut pas évident. Et puis, sur la pointe des pieds, j’ai commencé à élaborer quelques plats comme la multicolore d’écrevisses et la compression de homard César. Mon travail a été remarqué par Luc Dubanchet, alors directeur du guide Gault & Millau. En 1997, il fut le premier à écrire qu’à Roanne, il y avait quelqu’un à côté du chef Pierre. Après cela, il m’a nommé Chef de l’année. Bénédict Beaugé a aussi beaucoup compté pour moi car il a, le premier, mis le doigt sur l’acidité, très présente naturellement dans ma cuisine. On en a fait un livre qui m’a permis de passer un cap.

Une acidité liée à l’Italie de votre mère et de votre grand-mère ?

Oui, mais pas seulement… Il y a d’abord l’acidité bourguignonne, terre d’origine de la famille. L’acidité des vinaigres et des réductions de vins. Le goût du piquant de la moutarde. Les fruits rouges, la framboise, le cassis, la mûre, tout cela est dans ma cuisine. D’un autre côté, il y a l’Italie de la mémé et de ma mère. C’est une acidité acidulée, aigre-douce même, liée à la tomate et aux agrumes qui composaient la cuisine familiale. Ma façon de faire a aussi été influencée par la gestuelle italienne et son esthétique car l’assiette est lisible, simple, sans chichis. Un plat de pâtes fraîches, par exemple, paraît si simple, et pourtant, c’est ce qu’il y a de plus difficile à réussir. Ma grand-mère en faisait tous les dimanches devant moi.

Vous êtes influencé par le Japon ?

Dans une moindre mesure. Il y a un héritage par mon père qui est resté un an là-bas quand j’étais petit. Quand il est rentré, il m’a fait rêver avec des objets ramenés et toutes ses petites histoires. J’y suis allé à l’âge de 17 ans: j’ai beaucoup aimé l’accueil, l’esthétique, la cuisine, les gens, Tokyo. Je suis un fan de sushis, pour moi le sommet de la cuisine japonaise. Le Japon m’a plus amené à l’idée d’atteindre le meilleur avec peu d’ingrédients. Cela dit, je m’amuse aussi avec des condiments ramenés de là-bas.

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Comment naît votre passion pour l’art contemporain ?

Par les rencontres. Nous avons régulièrement des artistes et des collectionneurs parmi nos clients. Ils aiment bien manger. Il y a longtemps, j’ai ainsi rencontré Philip Nelson, galeriste américain alors installé à Lyon. Il m’a initié à l’art contemporain. J’ai acheté chez lui ma première œuvre, une petite peinture à la cire de Mitja Tusek, artiste installé à Bruxelles. Philip a eu la patience de m’amener à Art Basel, puis à la Fiac à Paris, puis à Art Brussels où j’ai fait la connaissance de ce petit monde. Je me suis initié peu à peu.

Cela a-t-il influencé votre cuisine ?

Cela a nourri inconsciemment mon approche de la cuisine, le champ de liberté que se donne l’artiste m’ayant servi d’exemple. Il me semble qu’il peut y avoir des similitudes dans la position d’un chef et celle d’un artiste, dans la façon d’aborder les choses. Comme l’artiste, le cuisinier s’appuie sur des connaissances, des expériences, des ingrédients, se libère puis explore… Il s’engage dans un chantier ouvert dont il ne connaît pas l’issue. Le cuisinier comme l’artiste partagent des choses de l’ordre du sensible et de l’écriture personnelle. Après, le quotidien est différent, les choses étant très structurées et répétitives en cuisine.

Quand une recette est-elle finie ?

Jamais, elle reste ouverte. Elle est prête à un moment donné, mais elle peut toujours être reprise et rectifiée. …/…

Comment le projet de la Colline du Colombier s’est-il construit ?

Marie-Pierre et moi avions envie de créer un lieu, de l’imaginer. L’acquisition d’une ferme, posée en haut d’une colline, nous a permis de commencer un travail en collaboration avec Patrick Bouchain, sur ce que peut être aujourd’hui l’architecture au milieu des prés, sur l’hospitalité, la simplicité et une table à la campagne. Le lieu ne pouvait être qu’à l’opposé de la Maison Troisgros, face à la gare. Les bâtiments étaient à l’abandon. Il a fallu reconstruire, en préservant l’âme du lieu tout en répondant à la nouvelle fonction. Le pari était délicat et merveilleux. La cuisine que l’on y fait est une cuisine de terroir, nourrie par les paysages et les ressources qui nous entourent. Rien ne vient de loin, sauf le poivre et le citron. Sinon, tout s’organise autour d’un réseau de producteurs proches. On y fait une cuisine de campagne, généreuse mais moderne. Elle n’est ni nostalgique ni folklorique.

Michel Troisgros sera présent lors de l’inauguration de Culinaria le 6 mai prochain. Il y proposera une démonstration et un atelier.Le 7 mai, il présentera un huit mains avec son fils César, Pierrz Wynants et Lionel Rigolet pour soixante convives.

www.troisgros.fr

Rédaction René Sépul – Photos Lydie Nesvadba.

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Un commentaire pour “Michel Troisgros :  » L’attitude et le bon sens doivent dépasser ce que la recette dit « ”

  1. Antunes joel

    12. juin, 2019

    Une très belle maison , et j’ai eu beaucoup de chance d’y passer quelques années , une cuisine juste , precise , pointu ..que de bons souvenirs et dans une belle ambiance ..

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