Jacques Pourcel rencontre Michel Hilaire au musée Fabre,  » Corps et Ombres  » un succès…

19 juil 2012
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Rencontre cette après-midi-là, à quelques pas du restaurant  » Insensé  » du musée Fabre à Montpellier. C’est là, au cœur du musée, que le chef Jacques Pourcel avait rendez-vous avec Michel Hilaire, le conservateur du musée. Conservateur certes, directeur général sans doute, mais surtout pour l’occasion, l’initiateur de la fabuleuse exposition  » Corps et Ombres  » qui donne au Caravagisme européen toute sa vraie dimension artistique – interview -

Fin de journée ensoleillée des premiers jours de l’été

Jacques Pourcel a choisi la fraîcheur du musée Fabre. Interview-rencontre avec Michel Hilaire, directeur du musée Fabre, conservateur général du Patrimoine, commissaire de l’exposition « Corps et Ombres, Caravage et le Caravagisme européen ».

C’est un homme heureux qui accueille Jacques Pourcel, dans un salon feutré du musée. Michel Hilaire est content, Caravage a le vent en poupe. L’exposition est l’exposition de l’année et son succès est fulgurant, plus de 1 200 entrées journalières. Elle attire et rassemble les connaisseurs, les historiens d’art et le grand public. Un peu plus de quatre mois pour découvrir Caravage et les caravagismes français, italien et espagnol. Un parcours raconté à Montpellier en 6 chapitres pour présenter un grand courant de la peinture européenne, illuminé par l’apport (ou la force ?) révolutionnaire de Caravage. Une exposition qui présente Caravage et une déclinaison la plus large possible du Caravagisme. Un courant qui va se développer durant une quarantaine d’années. Le musée Fabre présente Caravage et le Caravagisme du Sud avec les Italiens et les Espagnols. Toulouse au musée des Augustins présente, en 6 chapitres, le Caravagisme du Nord avec les Hollandais.

JP : Nous avons remarqué que dans l’ensemble des tableaux, il y avait peu de toiles où la table était représentée. Il y a deux, trois plats, le vin. Comment expliquez-vous que la bonne chère et les produits sont peu présents dans les représentations ?

MH : En fait, les toiles présentées ici traitent de sujets sacrés et de sujets de genre très forts, des sujets de genre populaire comme La diseuse de bonne aventure, Les tricheurs, Les buveurs, Les musiciens. Caravage est un initiateur de la nature morte. Il se trouve que là, dans les sujets que l’on présente, il y a peu de mets, à part dans le souper à Emmaüs et des buveurs comme par exemple le buveur avec Bacchus. Une toile fabuleuse où Bacchus presse le raisin qui coule dans le verre.

Il est à noter que Caravage est un initiateur de la nature morte, il s’y est intéressé surtout dans sa période du début, entre ses 22 et 29 ans. Il a peint des corbeilles de fruits, qui ne sont pas exposées ici mais sont à Rome. Après sa courte période nature morte, il s’est tourné vers le pieux, le sacré. Il travaillait beaucoup sur commande, l’aristocratie, les cardinaux, les personnages importants, allaient le chercher pour son travail, c’était un des artistes les plus convoités du moment.

Mais par contre, au 1er étage, il y a un très beau tableau de José de Ribera, Le Goût où une assiette garnie est représentée. Il m’intéresserait Jacques Pourcel d’avoir votre avis ! Les historiens d’art ne sont pas d’accord sur le contenu du plat : calamars, pâtes, seiches coupées en lanières, polenta, friture de poissons ?

 

JP : moi je me posais également la question, j’identifierais des anguilles, des poissons ou des pâtes !

MH : de grosses pâtes avec un assaisonnement, je penche comme les historiens de l’art pour des pâtes effectivement.

 

JP : Plusieurs fois des têtes coupées sont présentées sur des plateaux, quel en est la symbolique ?

MH : Il est vrai que dans l’expo, il y a beaucoup de têtes coupées : Judith et Holopherne, David et Goliath, Salomé et St Jean-Baptiste. Cela permet d’approcher la sensibilité de Caravage. Mais il faut savoir aussi, qu’aujourd’hui, on aurait tort de prendre cela comme des sujets « gore ». Il faut replacer dans le contexte du moment. Ce sont des thèmes emblématiques nés de la contre réforme. Les héros de la Bible avaient triomphé du mal représenté par la tête du géant Goliath. Le pieux et le sacré furent donc des sujets de prédilections de Caravage. Des peintures sur commandes, car Caravage était protégé par des cardinaux, par des personnages importants. Il était recherché, apprécié et convoité.

 

JP : Il intriguait par sa vie tourmentée qui lui a valu une réputation de mauvais garçon, de bad boy, d’artiste maudit !

MH : C’est l’image d’Épinal, largement diffusée par le cinéma, « l’artiste maudit, le voyou ». Déjà très jeune, il était très contestataire, de manière assez personnelle et très libre, il s’affirmait différent dans son mode de vie. Il choquait par sa manière de vivre contestataire. Pour Caravage, il n’y a pas d’un côté l’art et de l’autre côté la vie, il partageait la vraie vie du peuple. Contrairement aux habitudes de l‘époque, il pouvait trouver des modèles dans la rue, il fréquentait beaucoup les tavernes romaines, il adorait jouer sur les places au jeu de paume avec des raquettes. Il y avait cette immersion dans la vie de tous les jours entouré de gens ordinaires, que l’on retrouve dans ses peintures, mais qui pouvait effectivement paraître scandaleuse à l’époque. Il était simplement dans la vraie vie.

 

JP : Quelle est la toile de l’exposition Caravage qui vous transmet le plus d’émotion ?

MH : Assurément « Le sacrifice d’Isaac », un chef-d’œuvre absolu, la première toile que l’on découvre dans l’exposition, la plus célèbre de l’artiste, elle est dans un parfait état de conservation. Magnifique, Caravage en fait un sujet extrêmement présent sur la toile, extrêmement vivant, très fort, il y a la présence forte de ce vieillard (Abraham) qui s’apprête à égorger son fils unique Isaac. C’est un modèle d’atelier, un compagnon de Caravage que l’on retrouve sur la toile, Francesco un jeune adolescent magnifiquement peint.

Ce n’est pas un tableau complaisant, conventionnel comme on peut les voir à la Renaissance, il sort de la toile un cri de désespoir, ce n’est pas du tout un tableau idéalisé, au contraire, c’est extrêmement violent, extrêmement vivant, l’ange attrape le bras de Abraham et va arrêter ce carnage programmé, il désigne le bélier qui va être bien sûr remplacé pour le sacrifice. – Exceptionnel –

JP : Comment avez-vous étonné les grands musées parisiens en leur raflant la plus belle exposition de l’année ?… c’est une fierté aussi pour la ville de Montpellier, et pour vous ?

MH : C’est une négociation depuis très longtemps, presque 7 ans, puisqu’il a fallu bloquer les toiles à l’avance pour être sûr de les réunir ensemble pour l’événement de cet été 2012, car ces toiles voyagent beaucoup et sont engagées dans des expositions partout dans le monde. À quelque mois près, les toiles partaient vers d’autres destinations. Il a fallu user de négociations diplomatiques importantes pour avoir toutes les œuvres présentées à Montpellier et Toulouse.

Ce fut une négociation diplomatique à mettre en place très tôt, et surtout la forte envie et ma volonté, cela me tenait beaucoup à cœur d’offrir à Montpellier la possibilité de recevoir et d’offrir la plus haute qualité possible à un public en région. C’est un acte culturel fort, pour moi la décentralisation en France doit aussi passer par l’art et la culture. Bien sûr qu’il y a Paris qui reçoit les plus grandes expositions, mais j’estime que le public local qui voyage et qui est connecté par les multimédias, doit avoir la possibilité dans des villes de province comme Toulouse, Bordeaux, Montpellier, de rencontrer et de voir les plus belles expositions au monde.

 

JP : 2012 Caravage et 2013 ?

MH : En 2013, on va explorer d’abord au printemps tous les dessins de la Renaissance italienne à travers la publication dans un magnifique catalogue de tous les dessins de la Renaissance italienne de la superbe collection du musée Fabre. L’été prochain, le néo-impressionnisme avec Paul Signac. Exposition en collaboration avec le musée impressionniste de Giverny. Un grand évènement encore.

 

JP : Nous sommes à  » Insensé  » depuis la rénovation du musée Fabre, nous y servons une cuisine de bistrot plutôt chic qui a essayé de s’adapter aux attentes des visiteurs du musée. Vous avez une bonne connaissance des musées internationaux, pensez-vous que  » Insensé  » ait amené quelque chose de plus au musée Fabre ?

MH : Assurément, Insensé amène un plus au musée Fabre, par rapport à la convivialité de ce musée et du travail fait par les architectes Nebout et Brochet qui ont voulu faire un lieu architectural fort donnant toute la place aux salles d’expositions. Un musée à la carte, donnant la possibilité au public, selon son goût et son inspiration, de profiter des collections du 17e mais aussi s’arrêter longuement dans les salles Soulages, ou retourner observer des Delacroix… Le restaurant Insensé est dans cet esprit. On peut profiter de la table, mais aussi profiter du snacking ou se poser en terrasse pour une boisson, mais aussi se promener, aller à la librairie et profiter des espaces livrés au public comme le parvis Buren. Un lieu de convivialité où il fallait garder un paramètre chic et de qualité mais pas élitiste. En même temps, ne pas en faire une gargote bas de gamme, car nous sommes sur un musée très qualitatif et prestigieux, c’était un équilibre à trouver, paramètres réussis, le succès est au rendez-vous.

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