Dîner du siècle… Paris Match en a parlé…

24 avr 2011
Catégorie : Presse & Médias

www.parismatch.com/Conso-Match/Gastronomie/Le-diner-du-siecle-273809

Les chefs
De gauche à droite à partir du premier rang :
1 Eric Briffard, le Cinq-Hôtel Georges V – 2, Jacques Chibois, La Bastide Saint-Antoine, Grasse – Sophie Le Prado (école Ferrandi) – 4, Yamaguchi Hiroshi, Kobe Kitano hôtel, Kobe – 5, Patrick Bertron, Relais Bernard Loiseau, Saulieu – 6, Marc Meneau, l’Espérance, Saint-Père-sous-Vézelais – 7, Marc Haeberlin, Auberge de l’Ill, Illhaeusern – 8, Patrick Henriroux, La Pyramide, Vienne – 9, Régis Marcon, restaurant R. et J. Marcon, Saint-Bonnet-le-Froid – 10, Annie Féolde, Enoteca Pinchiorri, Florence – 11, Jean-Michel Lorain, la Côte Saint-Jacques, Joigny – 12, Pierre Orsi , Restaurant Orsi, Lyon – 13, Michel Rostang, Michel Rostang Restaurant, Paris – 14, Alain Dutournier, Carré des Feuillants, Paris – 15, Jean Coussau, Relais de la Poste, Magescq – 16, Johann Lafer, Johann Lafer’s Stromburg – 17, Rémy Giraud – 18, Philippe Mille, les Crayères, Reims – 19, Toni Mörwald, Kloster Und, Krems – 20, Jean-Luc Rocha, Château Cordeillan-Bages, Pauillac – 21, Eric Pras, Lameloise, Chagny – 22, Philippe Gauvreau, le Pavillon de la Rotonde, Charbonnières-les-Bains – 23, Riccardo Monco (second d’Annie Féolde) – 24, Jacques Pourcel, Le Jardin des Sens, Montpellier – 25, Christophe Moret, Restaurant Lasserre, Reims – 26, Jean-Georges Klein, L’Arnsbourg-Hôtel-K, Baerenthal – 27, Yannick Franques, Château Saint-Martin, Vence – 28, Cyril Leclerc, Château d’Adoménil, Lunéville – 29, Marc Meurin, Le Château de Beaulieu, Busnes – 30, Michel Kayser, Restaurant Alexandre, Baerenthal – 31, Philippe Etchebest, Hostellerie de Plaisance, Saint-Emilion – 32, Guillaume Gomez, Cuisines de la République – 33, Patrick Jeffroy, restaurant Patrick Jeffroy, Carantec – 34, Pierre Basso-Moro, Château de Germigney, Port-Lesney – 35, Gilles Pupont – 36, Guy Martin, le Grand Véfour, Paris – 38, César Troisgros, Roanne – 39, Laurent Pourcel, Le Jardin des Sens, Montpellier – 40, Raymond Blanc – 41, Per Hallundbaek, Falsled Kro, Milinge (Danemark) – 42, Philippe Colinet, Auberge des Templiers, Boismorand – 43, Jean-Pierre Jacob, Ombremont, le Bourget-du-Lac – 44, Etudiant de l’ école Ferrandi – 45, Jonathan Cartwright, The white Barn Inn, Kennebunk Beach (Usa) – 46, Jean-Christophe Ansanay-Alex, Auberge de l’Ile, Lyon – 47, Walter Heselbörk – 48, Sylvain Bouget – 49, Alain Pégouret, Restaurant Laurent, Paris – 50, Enrico Kalinka – 51, Christophe Bacquié, Hôtel du Castellet, le Castellet – 52, Michel Portos, le Saint-James, Bouliac – 53, Miura Yoshihiko, Auberge des Templiers, Boismorand – 54, Patrick O’Connell – 55, Gary Danko – 56, Edouard Loubet, La Côte Saint-Jacques, Joigny – 57, Gilles Tournadre, Restaurant Gill, Rouen – 58, Emmanuel Renaut,Flocons de Sel, Megève – 59, Emmanuel Stroobant, Saint Pierre, Singapour – 60, Jérôme Liaud – 61, Michel Troisgros, Maison Troisgros, Roanne – 62,Thomas Byrne – 63, Mikuni Kiyomi, Restaurant Mikuni, Tokyo – 64, Daniel Humm, Eleven Madison Park, New York  – 65, Georges-Victor Schmitt.

Paru dans Match
Pour l’entrée du repas gastronomique des Français au patrimoine de l’Humanité, les Relais & Châteaux ont invité 60 grands chefs à cuisiner.
Par Anne-Cécile Beaudoin – Paris Match

Il est arrivé fier comme un paon, en grand habit de peau doré, col ouvert sur une soie rouge sang. Entre les morilles de printemps, petits chaperons brun et blond, le prince homard en armure et la coquille Saint-Jacques dans sa robe de dentelle, le canard de Challans était le plus inattendu des convives. Rien d’étonnant pourtant, selon les puristes du goût : «C’est un des must de notre patrimoine gastronomique, explique Jaume Tapies, le président de Relais & Châteaux. Il compte parmi l’excellence de nos terroirs.» Et fait souvent partie des grands dîners du (beau) monde. Ainsi était-il au menu lors du repas de mariage de Grace Kelly avec le prince Rainier. Nul autre que ce Challandais à plume ne pouvait donc si bien symboliser le singulier «repas à la française», consacré par l’Unesco et célébré lors du festin royal qui réunissait 650 personnes dans la galerie des Batailles du château de Versailles, le 6 avril.

Très en vue à la ville, la star des palmipèdes se fait plus discrète à la campagne. Pour la débusquer, il faut prendre le maquis vendéen. Suivre le nord, traverser les landes brumeuses, passer des villages fantômes, là où les embruns de la mer rafraîchissent les zones marécageuses. À Challans, le bonheur est dans le pré. «La majorité des 85 millions de canards abattus chaque année en France est élevé intensivement dans des hangars sans jamais voir la lumière naturelle, raconte Dominique Chantreau, éleveur depuis vingt et un ans. Imaginez : 6 000 canards confinés dans un bâtiment de 500 mètres carrés… C’est la même surface que j’utilise pour abriter 2 200 bêtes jusqu’à l’âge de 2 ou 3 semaines. Ensuite, place à la vie au grand air. Allez hop, caletez volailles !»
Avant de finir en dodine, les canards de Dominique disposent de 1,5 hectare de prairies pour dodeliner et prendre du muscle. Plastron blanc, tête moirée de vert, ils se prélassent sur de la paille dorée, s’abreuvent d’eau fraîche et se nourrissent de grains croquants ; maïs et soja sans OGM, bien sûr. «Il est important qu’ils grandissent dans un environnement propre, qu’ils se sentent à l’aise. Alors je joue le rôle de maman», assure Dominique. Et d’ajouter : «Le Challans, c’est un canard au sang noble !» Selon la légende, en effet, il serait né vers 1650 du croisement de canards sauvages avec ceux offerts par le roi des Pays-Bas aux marins hollandais venus remodeler le marais breton vendéen. Le palmipède avait alors pour mission de dévorer les moustiques proliférant. D’autres attribuent son origine aux émigrés espagnols échoués sur la côte. Par la suite, des croisements avec le canard rouennais et le canard pékinois ont donné ce robuste Challandais de 3,5 kilos.
Si autrefois le dandy de nos assiettes se dandinait dans les marais, c’est mission impossible aujourd’hui. «Nous avons les écolos sur le dos en permanence, s’agace Dominique. Selon eux, les déjections souilleraient les canaux et pollueraient les eaux.» Qu’importe, finalement, puisque c’est l’herbe grasse au goût de vent marin qui a doté ces enfants du marais de saveurs iodées. Quant à leur note musquée, ils la doivent à leur mode d’abattage, à l’âge de 8 semaines : l’étouffement.
Depuis trois générations, la maison Burgaud utilise une méthode secrète — on saura seulement que l’animal est endormi avant l’affreuse besogne — pour que, une fois la bête abattue, le sang reste dans ses veines. «Le canard n’est pas saigné, explique Liliane Burgaud, qui dirige l’entreprise depuis qu’elle est veuve. La chair est donc plus rouge, plus savoureuse.» Cascade de boucles jusqu’aux épaules, taille sanglée dans un manteau brodé, des souliers à bout carré, elle a des airs de Roi-Soleil, Mme Burgaud. Depuis la mort de son mari, c’est elle qui sélectionne les éleveurs (5 dont Dominique) et veille au grain pour tout ce qui concerne l’alimentation des canards, leur espace de développement et l’hygiène des fermes.
Ses palmipèdes sont des habitués des tables étoilées : lorsqu’ils quittent la maison Burgaud, emballés dans du papier rose, c’est pour passer à la casserole chez Troisgros, Guérard, Robuchon… «Il y a soixante ans, mon beau-père fournissait déjà La Tour d’argent», dit Liliane. Et c’est sans doute dans ce célèbre restaurant parisien que le canard de Challans a acquis ses lettres de noblesse. La volaille est découpée devant vous. Sa carcasse en forme de cœur, broyée dans un pressoir en argent, exsude sa dernière goutte de sang (bleu !) dans un bouillon relevé d’un trait de cognac, de madère et de citron. Ici, le canard est si mythique qu’il est numéroté : Edouard VII fit un sort au numéro 328, le 33 642 fit le délice de Theodore Roosevelt, le 185 387, celui de la princesse Elisabeth, Coluche décortiqua le 662 614, le 1 079 006 régala Bill Gates, etc.
Noblesse oblige, le canard de Challans est promis à des rencontres et des lieux peu communs. Justement il est là, sous les pampilles des galeries de Versailles. Alangui entre les mains des sept chefs (parmi 60) chargés de lui faire sa fête, ce canard-là est un dieu que l’on peut décliner à toutes les sauces. Dans une cuisine éphémère installée dans une galerie longue de 280 mètres, chaque maître queux brode sa variation, oscille entre grande tradition culinaire et créativité personnelle, histoire de ne pas transformer la soirée en musée Grévin de la cuisine bourgeoise. Le triple étoilé Michel Rostang hache les cuisses du Challandais avec des cèpes, rehausse sa sauce au sang de foie gras. Pendant ce temps-là, Alain Dutournier, chef du Carré des Feuillants, orchestre une partition terre-mer : «Je suis un enfant de l’Atlantique, annonce-t-il. J’aime les saveurs iodées. Alors j’ai associé des huîtres de Marennes à mon canard, rôti sur l’os et levé en aiguillettes.
Et pour la note printanière, une brunoise d’asperges.» Les frères Pourcel, eux, dressent un filet rôti et un civet de cuisse en croûte de pistache, parsèment leur purée de truffes, poivrent comme peignait Monet. Tandis que Marc Haeberlin prépare une laque au chou rouge, Marc Meurin caramélise des navets et fait une compression pommes-coings. «Tiens, moi aussi je cuisine la bête avec une fricassée de pommes et de navets, s’amuse Gilles Tournadre. Mais c’est parce que je suis normand !» Avec Michel Troisgros, enfin, le canard de Challans voit du pays. «Le grand truc de mon père et de mon oncle était de l’accommoder avec du cassis. Moi, j’aime l’exotisme. Je l’ai baigné quarante-huit heures dans une marinade à base de piment, gingembre, miel et citron vert.»
Côté salle, le canard de Challans à la mode Troisgros remporte la palme de la gourmandise auprès d’une jolie dame en fourreau noir. «Peau croustillante, chair moelleuse sans se déliter, c’est une messe épicée sous un drap de velours», se délecte-t-elle avant de plonger son nez dans un verre de Cheval-Blanc millésime 2004. Mariage subtil d’art de vivre, de luxe royal et de gastronomie, rien n’était, ce soir-là, plus sérieux que le plaisir.

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